dimanche 31 janvier 2010

deux cachets sur lavant-bras


« El Mocho » c’est Diego Narvaez Torres, issu d’une des grandes familles de la ville… Un jour, lors d’un accident, il a eu deux doigts coupés, c’est pour ça qu’on l’appelle el mocho (le mutilé)…

« El heladero » c’est Cristian Meneses, issu d’une famille d’origine africaine et désormais métissée dans laquelle les filles naissent avec les cheveux bouclés et la peau de canelle…Depuis que sa mère à un jour vendu des glaces, on l’appelle el heladero…

Les histoires de ces deux potes pourraient être longues et passionnantes voire passionnelles vu le parcours des deux lascars mais sans doute ne suis – je pas la bonne personne au bon moment pour vous faire état de leurs vies. Ce qui m’amène à parler d’eux, c’est que aujourd’hui j’ai été leur rendre visite en prison, « en cana » comme on dit ici…

J’avais déjà expérimenté « el reten » : la petite prison, mais là, eux, ils sont dans la grande. Diego est dans le compartiment des narco – trafiquants : un couloir propret avec des cellules individuelles qui ne sont que des lits – armoires que l’on peut sécuriser avec un cadenas. La majorité des prisonniers sont des colombiens, après tout nous ne nous sommes qu’à deux heures en bus de Colombie. Christian est dans l’autre partie de la prison, dans le patio A, où les prisonniers jouent au billard en plein air, en écoutant du rap californien et du regeton dominicain.

Un peu nerveux et curieux, j’ai donc trouvé la prison en demandant mon chemin à un flic qui lisait son journal des sports dans son tout - terrain garé en face de la mairie. La prison se situe dans le centre colonial de la ville, c’est un bâtiment blanc comme tous les bâtiments de la ville. Classique, ce beau bâtiment devient laid lorsque on se rend compte que ses murs sont grossièrement surmontés de barricades en grosses briques… De l’extérieur, c’est à la vue de ces murs surélevés que l’on se rend compte que c’est une taule ou « un internado » comme dirait Diego. La porte d’entrée est en gros fer noir, la rue est calme, le vent souffle, la poussière vole, le soleil tape, tout est tranquille…

Je frappe, je rentre et le monde change. Quelques personnes sont là dans le couloir d’entrée, je présente mes papiers et on me demande qui je viens visiter. Tout est noté dans un registre qui ressemble à un annuaire téléphonique. On m’appose deux énormes cachets bleus et ronds sur l’avant – bras. Après je passe à la fouille, tout est vérifié, le paquet de feuilles à rouler que j’apporte à mon pote est ouvert et les cigarettes sorties du paquet une par une. Les poches vidées, le maton me parle agressivement, ce à quoi je réponds « pardon excusez – moi, je ne vous comprends pas », le gars répète encore plus agressivement.

A ce moment je m’attends toujours à ce que l’on m’emmène dans une salle de visites ou quelque – chose dans le genre… J’ai pas le temps de me rendre compte que je peux oublier la tranquille et neutre salle de visite de la télévision… Je suis déjà en plein patio, rempli de gens, des gosses, des femmes et des hommes. Je suis dans la prison et c’est le jour des visites. Tout de suite, un gars m’interpelle et me demande qui je cherche… Je dis que je cherche El Mocho. Mon cœur bat assez vite, les regards ne sont pas menaçants mais je ne suis quand même pas à mon aise. Cet endroit ressemble à l’enfer. Très vite mon guide qui est un des prisonniers me demande des sous, je lui dis que j’ai rien sur moi et je lui propose des clopes. Il en prend une et insiste encore, je lui offre trois feuilles à rouler. Ça lui servira sans doute à se faire son « maduro », joint de marihuana mélangée avec de la pâte de cocaïne.

J’arrive dans le fameux couloir réservé aux gros trafiquants que l’on appelle ici « la residencial Madrid » du nom d’un hôtel de la ville. Le gars crie après Diego et à travers une porte coulissante, j’aperçois le visage de mon pote qui me fait un grand sourire. Il est occupé avec sa femme dans son armoire – lit et me dit de patienter. Je me retrouve assis à regarder la télé avec d’autres types dans le couloir, les gens, les familles en visite passent, il y a du mouvement partout. Il y des vendeurs ambulants qui vendent des glaces, un gars qui surveille la porte d’entrée, tous sont des prisonniers. Jusqu’à ce moment je n’ai pas encore vu un seul maton à l’intérieur de la prison. Je n’en verrais pas un seul jusqu’à ma sortie deux heures plus tard : comme une petite ville dans la ville, la prison est gérée de l’intérieur par les prisonniers eux – mêmes.

Diego sort de son tiroir et Amérique et amitié Latines obligent, l’accolade est franche. On s’échange des nouvelles… On discute et quelques mots en français nous échappent : Diego a vécu dans le temps à Liège. Diego fume du basuco et un demi - kilo de marihuana par mois, c’est pour ça qu’il est à l’ombre pour trois ans. L’ombre justement… A 7 heures du mat’, tout le monde debout pour le comptage des prisonniers. On distribue du pain et on va chercher son café par un trou creusé dans un des grands murs de l’enceinte. Après, on lit, on regarde la télé, on vague à ses occupations. Diego peint, Christian lit… ou fait des bagues en coco. A 17 heures, tout le monde en cellule pour la nuit.

Après avoir discuté et rigolé avec Diego, on va voir Christian : même chose, on le fait appeler et sa tête sort de son tiroir avec un grand sourire. Lui aussi est avec sa femme et sa petite fille en visite. Je me fait apostropher par un gars qui me demande des sous, on tchatche un peu et je lui sors quelques pièces. Dans le patio central, tout le monde est dehors, il est 15 heures et les visites durent jusque 16 heures. Il y a plein de monde, le regeton fait bouger les têtes. On s’assied à trois et on discute. Un petit jeune nous regarde depuis 10 minutes, il a l’air mal en point. Ses yeux brillent par le mal et ils sont à l’image d’un système répressif manipulé par des tarés inconscients. Christian lui dit de ne pas nous emmerder et qu’il aille voir ailleurs. Le petit gars insiste et se rapproche. Il fixe toujours ma tête de gringo et me dit que je suis gros. On est mort de rire… Mort de rire, on le sera souvent, on parlera de la rue qui leur manque, de la bouffe dégueulasse, d’une grève qu’ils ont fait il y a deux mois et où toutes les personnes en visite ont été gardées pendant une semaine dans la prison. Les revendications étaient de renvoyer tous les prisonniers colombiens dans leur pays et la réduction des peines. On attend toujours… Peut – être que si Abdallah Bucaran ex – Président surnommé « el loco » (le fou), déchu par le peuple il y a trois ans, en exil à Panama revient au pays, on sera gracié disent – ils. C’est déjà arrivé…

Dans la prison il y a des ateliers de céramique, de fabrication de sandales et il y a un gars qui fait des pipes en verre qu’il exporte en – dehors de la prison. De sa chambre, Diego peut voir les couchers de soleil sur le Cotacachi, une des montagnes des alentours. Christian lui, voit la lune se lever derrière la colline de Pimampiro au nord – est. On me dit qu’il y a souvent des bagarres au couteau… Christian souffle à un gars qui n’a pas l’air commode qu’il aurait dû planter « una puñalada » (un coup de couteau) au lieu de se contenter des « puñetes » (coups de poings) lors de la dernière bagarre. Depuis que je suis entré dans cet entre magnifique, j’ai oublié mes valeurs mais quand Christian me présente sa femme et sa petite fille de trois ans, je constate que l’instinct humain est bien présent dans cette cour tantôt des miracles, tantôt de saloperies.

On se grille des clopes et je me demande quand l’heure de partir arrivera… Un gars passe et mes potes me disent qu’il est fou, « rallado el mate » (cerveau brûlé). Tant que eux ne le sont pas, je suis rassuré. L’heure de partir arrive, une dernière accolade, je dis que je reviendrais souvent et que j’apporterai des pinceaux pour Diego et des bouquins pour Christian. Les deux sont des artisans confirmés, l’un est artiste peintre d’hallucinations et l’autre un glacier artisanal hors paire. Ils sont tous deux mes potes et ils sont tous deux à l’ombre…

Je ressors en récupérant mon passeport bordeaux et dehors je suis content de marcher dans la rue avec mes deux cachets sur l’avant – bras qui me resteront indélébiles. Je (ne) suis (pas) libre… (Pas) comme eux, et ça me fait chialer à l’intérieur.

(Ecuador 2004)

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